LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE : Le mythe de l’amour sans conflit
Qui ne rêve pas d’un couple tellement harmonieux qu’il n’y aurait jamais d’éclat, de mot plus haut que l’autre, de crispations…?
Les choses couleraient naturellement, sans vague, sans tempête ni courant fort. Un couple qui résoudrait intuitivement tous ces désaccords, sans heurt: « Nous nous aimons tellement que nous arrivons à être toujours d’accord. »
Certains vont en effet jusqu’à ce persuader de cela et affirmer que leur complicité est telle qu’ils se comprennent sans même se parler tout le temps. Nous sommes nombreux à fantasmer sur ce type de couple. Vous en rêvez surement aussi, et pourtant , vous constatez que cela ne fonctionne pas toujours si bien dans votre quotidien…
Avant de comprendre cette tension entre un amour « parfait » et la réalité, posez-vous les questions suivantes :
1: Est-ce que j’assimile conflit à la dispute, une sorte de règlement de compte dont nous ressortirons tous les deux blessés dans tous les cas ?
2. Est-ce que je viens d’une famille qui dit les choses avec force?
3. Ou d’une famille où chacun garde pour soi ce qui l’irrite et où tout semble toujours lisse?
4. Ai-je peur de blesser mon conjoint en exprimant mon désaccord ?
5. Est-ce que j’accepte que l’on me fasse des remarques ?
6. Ai-je peur de dire non?
7. est-ce que je considère que dire toujours oui, c’est être gentil? Est-ce pour vous la meilleure façon de montrer à votre conjoint que vous l’aimez?
8. Ai-je tendance à taire mes points de désaccord avec mon conjoint, de peur que cela détériore notre relation ?
9. Est-ce que je me sens moins aimé lorsque mon conjoint me dit qu’il ne comprend pas du tout ma manière de voir telle ou telle chose?
10. Est-ce que j’en veux à mon conjoint de ne pas approuver tout ce que je dis ou fais?
Si vous répondez « non » aux questions 2 et 5 et « oui » aux autres, vous idéalisez certainement l’amour au point de penser qu’il peur se vivre sans aucun accroc.
Le désaccord génère souvent un sentiment d’injustice car on se sent alors seul à porter notre idée. On estime qu’il serait juste que notre conjoint nous soutienne et on lui en veut parfois de ne pas le faire. Or l’injustice génère la colère. Malheureusement la colère s’assimile trop rapidement à une émotion négative. Nous attribuons un jugement de valeur alors que l’émotion n’est ni bonne ni mauvaise : elle s’impose à nous. Nous ne sommes pas libres de ressentir telle ou telle émotion. Notre liberté se trouve dans un second temps : que vais-je faire de cette émotion ? C’est ce choix qui peut être constructeur ou destructeur, et non l’émotion qui le sous-tend.
Lorsque sent un désaccord avec notre partenaire, face à ce sentiment de malaise, d’inconfort, on a tendance à faire taire notre petite voix intérieure qui s’oppose, la jugeant mauvaise et dangereuse pour la sérénité du couple. Pour ne pas faire de vague, on se range du côté de notre conjoint pour protéger notre couple. C’est peut-être votre cas, et donc votre façon de remplir le contrat implicite que vous vous êtes fixé : « Avec moi la vie de couple sera un long fleuve tranquille. Je suis suffisamment fort pour prendre sur moi et accepter ma frustration. C’est cela être intelligent et prendre soin de notre relation. »
Or la colère, le sentiment de malaise, révèle en vous quelque chose qui mérite d’être entendu. Ne pas chercher à bien comprendre le fond de ce sentiment, c’est prendre le risque de vous effacer au profit du couple. A enfouir vos émotions, Vous creusez en vous un volcan. Lorsque le volcan entre en irruption, il détruit tout sur son passage! Votre volcan intérieur peut donc détruire soit votre couple, soi vous-même !
Avant d’entrer dans le vit du sujet, comprenez bien ce que j’entends par « conflit ». En psychologie nous entendons le mot conflit dans le sens de « confrontation ». Ce mot vient du latin conflictus « choc », qui vient lui même de confligerer, « se heurter ». retenez donc plutôt la notion de heurt. Le conflit est la confrontation due à une opposition d’éléments contraires : sentiments, opinions, émotions, habitudes de vie, gouts…
C’est le fait d’expliciter, d’exposer clairement un désaccord entre partenaires. Cette expression ne comporte pas de violence physique ni même de contrainte entre les conjoints. C’est simplement la manifestation, la mise en lumière du désaccord.
Un long fleuve tranquille sécurise. En surface il n’y a aucun remou, le danger paraît inexistant, les poissons y sautent paisiblement… Mais attention, quand on y regarde de plus près, les vivres s’épuisent, les fonds sont abîmés par la négligence des passants, l’absence de courant fait s’accumuler les déchets. Le fleuve émerveille donc en surface mais il ne faut jamais oublier d’entretenir le fond !
Voyons comment faire cela.
Fui le conflit :la fausse bonne idée
Le mythe de l’amour sans conflit passe sous silence les inconvénients de fuir tout type de confrontation. La peur du conflit, chez beaucoup d’entre nous, vient de la peur de la domination car il y a le risque que le conflit de pouvoir entre les conjoints se solde par une relation dominant/dominé. En réalité, le conflit, lorsqu’il est bien vécu par les deux partenaires, reconnaît le pouvoir de chacun. C’est au contraire en le fuyant que vous donnez tous les pouvoirs à votre conjoint et que vous vous soumettez à ce dernier.
« quand les individus peuvent choisir, il y a liberté mais désaccords fréquents. Le prix de la liberté, c’est le conflit » affirment Jacobson et Christensen dans couples en difficultés: accepter ses différences. Ils ébauchent cette idée de lutte de pouvoir en expliquant que chacun des partenaires veut exercer son autorité pour déterminer la façon dont les choses doivent se passer dans leur relation.
« abandonner ce pouvoir risque d’être ressenti comme un abandon d’une partie de soi-même.’
POURTANT LE CONFLIT N’EST PAS SYNONYME D’AUTORITARISME. Celui qui fait preuve d’autoritarisme cherche à se protéger de l’autre. Il impose son point de vue de peur de perdre le contrôle face à son conjoint. Il tente aussi de se convaincre lui-même qu’il est le seul à détenir la bonne solution.
LE CONFLIT N’EST PAS NON PLUS SYNONYME DE SOUMISSION. La soumission conduit en effet, à force, à la victimisation, qui est une échappatoire dangereuse au conflit. La position de victime implique la passivité. « je ne peux rien faire, seul mon conjoint peut agir » .
« LA VICTIME » démissionne de son couple ! Elle se décharge ainsi de tous les pouvoirs qu’elle à en sa possession pour améliorer sa relation. Il s’agit de se dédouaner des évènements et donc de ne pas y remédier, tout en exerçant par ailleurs un pouvoir d’influence. En fuyant le conflit et en ne faisant pas entendre sa voix, la personne soumise pense qu’elle sauvegarde la tranquillité de son couple.
Elle se dit alors » j’endosse pour deux… C’est grâce à moi que les choses roulent! »
Fausse humilité car cela lui évite d’employer elle-même les moyens qui mettraient fin à la situation. Car au fond la situation ne lui convient pas. La « victime » donne seulement l’illusion d’un couple fusionnel à son conjoint. Tout en se taisant, elle rend l’autre responsable de ne pas l’écouter. Pendant ce temps, son conjoint s’imagine qu’elle est d’accord avec lui. « qui ne dit mot consent » nous rappel l’adage. Or dans se genre de situations, il serait plus juste d’affirmer que « qui ne dit mot s’écrase ». Il reste alors deux portes de sortie au soumis : la dépression ou la révolte qui détruit la relation.
Combien de couples se retrouvent dans cette impasse ?
Le conjoint qui s’est soumis pendant des années explose au bout d’un moment. Soit à travers un mal être profond qui ne peu plus être caché, soit à travers une révolte ou une crise de liberté – crise du milieu de vie, lorsque la personne remet tout en question pour rechercher en tout l’absence de contraintes et de soumissions. Cette dernière option est très dure à dépasser pour le couple. Le conjoint qui à appris à se taire décide enfin de s’affirmer. Simplement c’est la colère qui parle et non le désir de vibre un beau conflit. L’avis de l’autre devient insupportable, l’ancien soumis voit comme une attaque tout désaccord avec son point de vue. Il n’a plus aucune tolérance pour cette confrontation d’idées contraires. La peur de la domination le fait devenir dominant à son tour. Il explose à chaque remarque et estime vivre une grave injustice; Il a perdu toute confiance en la capacité de son conjoint à vouloir trouver une issue favorable à leur couple. Sa quête de liberté finit par emprisonner son conjoint qui ne peut s’exprimer.
Si vous êtes dans cette position de l’ancien soumis qui se révolte, il vous faudra du temps pour accepter que le nouvel équilibre que vous tentez de mettre en place crée en fait une une autre forme d’instabilité. Vous renversez la donne au lieu de rétablir la justice. Simplement, la colère ne peut être la seule conseillère dans vos actions. Vous restez prisonnier de votre émotion au lieu d’en tirer le bon qui en émane et de donner la juste place à chacun.
Valérie et Samuel, en couple depuis dix huit ans, m’ont sollicitée pour une thérapie de couple. Valérie est à l’origine de cette démarche, car depuis un bon mois, elle s’inquiète pour Samuel qui semble bien mal. Il pleure beaucoup, s’énerve pour la moindre petite chose et à décidé de partir quelque temps de la maison. Elle à donc des raisons de se questionner et de craindre l’avenir de leur relation.
« Je ne le reconnais pas, me dit-elle. Samuel est quelqu’un de doux, posé, facile à vivre. Il est très proche de nos 4 enfants. Quand ils étaient petits, nous avions en effet un rythme soutenu, et j’avais tendance à mettre en place des règles pour que le quotidien se déroule facilement. Samuel à pu en souffrir car j’acceptais mal qu’il puisse y déroger en entraînant les enfants avec lui. Par exemple, je les couchais à 19H30 et si Samuel revenait vers 19H25 du travail, il pouvait les faire rire, les exister, et ainsi, je n’arrivais plus à les coucher avant 20H30 ! Après tout le monde était fatigué, donc je demandais à Samuel de faire autrement, chose qu’il vivait mal car il voyait peu ses enfants. Mais maintenant, ces problèmes n’ont plus lieu d’être car ils sont étudiants. Ce sont des super enfants, nous en sommes très fiers et je trouve que Samuel à développé une belle relation avec chacun d’eux. Mais depuis plusieurs mois, il va mal et a enfin décidé de me parler il y a trois semaines. Il me reproche énormément de choses, des histoires d’il y a plusieurs années. J’ai l’impression qu’il me voit comme un monstre et que je n’ai jamais considéré son avis. Il me donne la sensation d’être un dictateur alors que jusqu’à présent, il ne me l’avait jamais exprimé. C’est très dur car je me sens impuissante face à tant de souffrances »
JE me tourne alors vers Samuel qui, depuis le début de notre séance, semble irrité. Certaines de ses mimiques, lors de l’intervention de Valérie, laisse à penser qu’il n’est pas d’accord avec la façon de voir la situation.
« Tu n’es pas honnête, Val, reprend-il. Tiu laisse penser à Lydia que je suis un gamin qui existe les enfants et qui te laisse ensuite les coucher. Pour qui je passe moi ? une homme égoïste qui ne pense qu’à s’amuser sans prendre en compte ses responsabilités ? Je ne suis pas d’accord. Oui en effet, j’avais besoin de voir mes enfants et je ne voulais pas que ces instants précieux se réduisent au simple fait d’aller se coucher. Je voulais passer un moment agréable avec eux et profiter des courtes soirées ensemble. J’estimais que ce n’étais pas grave si, de temps en temps, ils se couchaient un peu plus tard. Je disais même à Valérie que je me chargeais de les coucher mais elle revenait plusieurs fois dans leur chambre pour nous presser et nous demander d’éteindre. Elle ne me faisait pas confiance. C’est un exemple, mais il y en a tellement d’autres malheureusement. Moi, je n’en peux plus. Je veux qu’elle prenne enfin mon avis en considération. Depuis des années je ne dis plus rien car il est impossible de discuter avec elle. Elle s’énerve et trouve toujours un argument qui m’explique que j’ai tort. Vous savez, je n’aime pas le conflit et pour le bien être de ma famille, je l’ai laissée décider de beaucoup de choses. Simplement, aujourd’hui j’ai 45 ans et j’estime que je peux enfin faire ce qui m’importe. Je ne veux pas continuer ma vie de cette façon, je suis lassé et je n’ai plus de sentiments »
Ce que me révèle Valérie et Samuel, de nombreux couples me l’ont exprimé presque dans les mêmes termes. Des désaccords qui se transforment au début en disputes, suivies d’un abandon de celui qui vit mal ces tensions et préfère se taire pour les éviter. Il à la sensation d’être la bonne personne dans le couple mais réalise après plusieurs années qu’il a laissé tout le terrain à son conjoint et n’y trouve plus du tout sa place. En face, je trouve un partenaire qui ne comprend rien à la situation. Sachant exprimer ses propres besoins, il n’imaginait même pas que l’autre ne le fasse pas. Il interprétait son silence comme une validation de son avis et n’allait pas chercher plus loin. Il se sent trahi aujourd’hui car il comprend que cette situation est allée trop loin, sans marche arrière possible facilement. Il aurait aimé que l’autre tape du poing sur la table pour le faire réagir fortement, plutôt que de parler tout de suite d’éloignement, voire de séparation.
L’absence de conflit ébranle donc la confiance du couple, chacun se faisant une idée fausse de l’autre. J’ai abordé cela avec Valérie et Samuel. Évidemment Valérie voulait tout faire pour changer car elle tenait plus que tout à Samuel. Le voir s’éloigner la meurtrissait. Samuel, quant à lui, n’avait plus la force pour ce travail. Il disait arriver enfin à s’affirmer et craignait que revenir à la maison le replonge dans leur ancienne situation. Il avait perdu toute confiance dans la capacité de Valérie à évoluer. Il restait sans cesse sur la défensive à ses côtés, à l’affut du moindre désaccord qu’il ne laissait plus passer. Ces désaccords étaient alors autant de sources, non pas de conflits, mais de disputes. Son irritabilité du moment l’empêchait d’aborder sereinement les situations. Il rendait tout de suite Valérie coupable d’exprimer encore son avis.
Samuel s’est accroché quelques semaines à ce travail conjugal, puis n’a plus souhaité prendre rendez-vous. J’en étais très frustrée car il y avait un travail immense à faire et Samuel reconnaissait ce dont je lui parlais. Simplement, il m’avoua ne plus en avoir la volonté et surtout la foi.
Grave erreur donc de penser que fuir le conflit sauve votre relation de couple. Vous échappez certes à quelques instants un peu désagréables, mais vous ne vivez jamais d’acte profond d’amour entre vous non plus. Sentir que votre conjoint écoute votre avis, le prend en considération, vous fait assez confiance pour se permettre d’exprimer le sien et cherche à faire en sorte que vous soyez satisfait de la résolution trouvée en évoluant à son tour, est une expérience très structurante et sécurisante qui renforce l’engagement dans votre relation. Vous vous aimez en pleine liberté. La fuite conduit tout droit à la méfiance, aux récriminations envers votre conjoint, à une mauvaise estime de l’état de son amour pour vous. Vous l’empêchez de vous aimer dans toutes vos dimensions. Au lieu de sauvetage, cela vous conduit tout droit à l’explosion.
De nombreux couples constatent qu’ils ont une approche différente du désaccord et que cet écart les paralyse. A l’image de Valérie, il y a ceux qui n’ont pas peur de tout exprimer, avec force, ayant souvent été élevés dans ce modèle. Ils sont persuadés d’avoir en face d’eux un partenaire suffisamment solide pour réagir quand il le faut. Ils attendent donc qu’il s’impose, et sans réaction de sa part, ils estiment avoir raison. Mais beaucoup se retrouvent dans la situation de Samuel: ils n’ont ps cette conviction qu’exprimer son besoin avec force soit nécessaire au bien du couple. Ils ont une appréhension forte au sein du conflit et doivent se sentir en grande sécurité pour oser s’épancher. Le premier doit donc accepter de changer sa façon d’aborder la communication. Il doit faire preuve davantage de douceur, dans la forme, et d’écoute. quand au deuxième, il doit croire à nouveau qu’il n’est plus un enfant qui attend que sa mère comprenne ce qu’il pense sans rien dire, qu’elle vienne sans cesse le reêcher quand il ne va pas bien. Il doit se positionner comme un adulte, ne pas avoir peur de tenir sur ce qui lui est essentiel, de défendre ce dont il a besoin pour garder sa liberté. Il en est responsable et doit amener son conjoint à l’écouter de façon ferme mais bienveillante. Cela demande de la tonicité psychologique, de la souplesse et de l’humilité.
ATTENTION AUX RENONCEMENTS QUE VOUS CHERCHEZ PARFOIS 0 IMPOSER 0 VOTRE CONJOINT. Vous négligez souvent toutes les ressources dont il a besoin pour continuer à avancer dans la vie. Ce qui est bon pour vous ne le sera peut-être plus si votre conjoint finit par vous le reprocher et vous en vouloir.
ASSUREZ-VOUS TOUJOURS QUE CHAQUE RENONCEMENT SE FASSE EN TOUTE LIBERTÉ ET NON PAR SOUMISSION.
N’ayez pas peur de vous défaire de vos mauvaises habitudes et d’en choisir des nouvelles, bien plus saines. C’est la meilleure façon de renouveler votre couple de façon durable, qui est une entité à part entière. Vous lui redonnez ainsi du dynamisme et vous permet de sortir de votre individualisme pour construire à deux votre œuvre conjugale.
En sortant gagnant /gagnant du conflit, vous apprenez à ne plus avoir peur de ces différents car vous êtes à même de les dépasser ensemble, main dans la main, en confiance. Commencez à traiter les petites tensions, vous instaurerez ainsi une habitude vertueuse qui vous permettra ensuite de dépasser les plus grandes.
N’ACCEPTER LA SOLUTION QUE SI VOUS NE VOUS SENTEZ NI DOMINANT NI DOMINE.
Et n’oubliez pas être en couple ce n’est pas être en présence de l’autre mais avec l’autre! 1+1 =3 (entité du couple à part entière)
(source thérapeutique et médiation de couple (de boeck, page 95, vers l’amour vrai se libérer de la dépendance affective, albin michel . John bowlby attachemenbt et perte puf 2002; Yvon Dallaire conflit et dispute dans le couple; la boite a outil pour être un couple épanoui, 2018, camille)